Economie circulaire : trois normes ISO pour passer à l’action

En 2024, l’économie circulaire semble une voie d’avenir évidente, à tel point qu’on s’imagine que tout est déjà enclenché. Dans la réalité, on n’en est pas là : faire du circulaire, c’est compliqué. Les professionnels avaient besoin de s’accorder sur une vision globale, une terminologie et des bonnes pratiques. C’est l’objet de trois nouvelles normes ISO.

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Economie circulaire

ISO 59004 (principes et terminologie), ISO 59010 (transition des modèles d’affaires) et ISO 59020 (mesure de la performance en circularité) : retenez ces trois chiffres-là, ils vont vous aider à muscler votre stratégie circulaire, ou à l’initier, si vous vous demandez par où commencer. Car c’est devenu une évidence : il faut circulariser les modèles économiques et mettre fin à une économie linéaire prédatrice et climaticide. Nous l’expliquions déjà ici en 2018. Aujourd’hui, trois nouvelles normes volontaires internationales sont disponibles, avec le préfixe NF dans la collection AFNOR. Elles ont été conçues sous l’impulsion de la France, au sein d’un comité technique présidé par la Française Catherine Chevauché (Veolia). Et préfigurent de futurs autres référentiels sur le sujet, éventuellement certifiables. Vous pouvez réécouter ici le webinaire de présentation qu’a organisé l’Organisation internationale de normalisation à ce sujet le 22 mai 2024. Une nouvelle session organisée par AFNOR est prévue le 13 septembre 2024 (inscriptions ici).

Préciser les concepts, construire les modèles d’affaires

« On parle de déchets, de fin de vie ou encore de taux de recyclage, mais tout le monde ne met pas la même chose derrière ces formules, explique Roger Ebengou, directeur Environnement et économie circulaire pour l’Europe du groupe Michelin, qui a participé à la rédaction de l’ISO 59004. Et qui l’a fait « précisément pour construire un vocabulaire commun ». « Si on ne parle pas le même langage, on n’aura jamais d’indicateurs à partager. Or, l’économie circulaire repose par nature sur notre capacité à travailler avec d’autres chaînes de valeur, à la manière d’un écosystème, dit-il. Définir les termes permet de définir les modèles d’affaires. »

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Chez EDF, Anne-Sophie Coince, ingénieure de recherche, a copiloté pour la France (avec Jorge Soto de la société Braskem, représentant le Brésil), le groupe de travail qui a élaboré la norme socle portant sur la terminologie. Elle souligne combien la nouvelle norme NF ISO 59004 a su garder l’esprit de la toute première norme expérimentale sur l’économie circulaire, XP X30-901 , un texte datant d’octobre 2018 et qui à l’époque était déjà une initiative française. « Nous avons réussi à rester proches de la conception de l’économie circulaire telle que portée par lAdeme, très pratico-pratique, que nous avons portée encore plus loin en intégrant le principe de régénération des écosystèmes », explique Anne-Sophie Coince.

Frédéric Poeydemenge, BIC

Frédéric Poeydemenge, BIC

Chez BIC, Frédéric Poeydemenge, directeur normalisation pour l’activité briquets, engagé dans plusieurs commissions de normalisation depuis presque vingt-cinq ans, a l’expérience dans sa propre entreprise : « Nous avons mis en place un système pilote grandeur nature de collecte de briquets au plus près des consommateurs, testant ainsi la première étape d’économie circulaire. Ce projet a nécessité un important travail dorganisation logistique. Une fois collectés, nos briquets suivent différents parcours dans nos usines : leurs composants peuvent servir à refabriquer de nouveaux briquets, les matériaux peuvent être recyclés. A terme, ceux en meilleur état pourront être reconditionnés pour une nouvelle vie » relate-t-il. L’ingénieur attend maintenant que les cent pays autour de la table s’approprient la norme.

Partager la création de valeur

« Nous avons inscrit dans les textes le principe de partage de la création de valeur, reprend Anne-Sophie Coince, pour EDF. Nous savons que quand on boucle les flux énergie-matières sur un territoire, il peut y avoir des gagnants et des perdants. Il faut être vigilant sur ce point pour que la mise en œuvre soit attractive et pérenne. » Autre point de focalisation : la valorisation énergétique, qui ne se limite pas à l’incinération. « Certains experts voulaient qu’elle sorte du périmètre de l’économie circulaire, mais il était important de lintégrer, notamment pour les pays qui entreposent des déchets à ciel ouvert : pour eux, les brûler et récupérer la chaleur générée constitue déjà un grand pas », défend Anne-Sophie Coince. Car c’est aussi ça qui compte, dans les normes ISO : la capacité à faire avancer tous les pays. D’ailleurs, l’ISO s’est beaucoup impliquée pour faire venir un maximum de représentants des pays d’Afrique notamment, en finançant le transport, l’hébergement et en offrant des formations pour qu’ils s’expriment davantage.

Un outil pour respecter la loi et acheter responsable

En France, le contexte réglementaire est porteur, avec par exemple la loi anti-gaspillage de 2020, le bonus réparation ou les appels à mettre en place une TVA circulaire. Avec des lunettes bleu-blanc-rouge, on peut donc voir ces trois nouvelles normes ISO comme un mode d’emploi pour aider à appliquer un certain nombre d’exigences réglementaires, hexagonales ou européennes, et inspirer des mesures futures. « Les normes volontaires permettent d’harmoniser toutes les pratiques et, nous lespérons, de créer les bases de pratiques vertueuses et d’une concurrence loyale », indique Frédéric Poeydemenge, pour BIC.

Anne-Sophie Coince, EDF

Anne-Sophie Coince, EDF

EDF utilise déjà une « grille de circularité » pour des projets internes mais aussi externes, afin d’évaluer dans quelle mesure des chantiers bas-carbone peuvent également devenir plus circulaires.

Chez Michelin, Roger Ebengou rappelle que les ambitions du groupe sont clairement affichées depuis l’après-guerre, avec des efforts conséquents d’abord sur le rechapage des pneus, puis sur la longévité des bandes. « Nous allons jusqu’à deux ou trois vies et un million de kilomètres pour un pneu », chiffre-t-il.

Les normes volontaires donnent aussi des clefs aux consommateurs pour faire des achats plus responsables, en objectivant les allégations des producteurs. « Les consommateurs sont déjà impliqués dans la circularité, même s’ils ne s’en rendent pas toujours compte, relève Roger Ebengou. Nous trions nos déchets, nous achetons local, en vrac ou reconditionné. Les normes permettent d’éclairer nos choix, de confronter les arguments de vente des distributeurs, de comparer des éléments comparables et d’éviter le greenwashing pratiqué par certains. »

Economie circulaire : se former et faire reconnaître ses pratiques

En attendant une certification de système de management, à la manière de la certification ISO 14001 pour l’environnement en général, quiconque revendique appliquer de bonnes pratiques d’économie circulaire a déjà accès à des signes de reconnaissance, dans le but de crédibiliser sa démarche et rassurer ses clients. Au sein de la gamme Vérification seconde vie d’AFNOR Certification, par exemple, il trouvera de quoi faire reconnaître, après vérification par un évaluateur indépendant, le fait que son produit est effectivement robuste, réparable, recyclable, ou bien issu du réemploi, du recyclage ou du reconditionnement. Parmi les marques arborant l’un de ces signes, on compte par exemple les baignoires Allibert, les colis connectés de Living Packets ou encore les vélos de Nouvelle Attitude (filiale du groupe La Poste).
Et parce que l’économie circulaire commence par l’éco-conception, afin d’amoindrir dès le départ les impacts sur la suite du cycle de vie, on n’oubliera pas AFAQ Eco-conception . Ni de passer par la case formation : on aura toujours plus de facilité à déployer des projets d’économie circulaire basés sur les meilleures pratiques en maîtrisant un minimum le sujet, en particulier la notion d’analyse de cycle de vie, l’alpha et l’oméga de toute démarche écologique ! Pour cela, pensez à la nouvelle formation certifiante d’AFNOR Compétences pour devenir chef de projet éco-conception et analyse du cycle de vie (5 jours).

Une norme sur l’impact environnemental des livraisons d’e-commerce

C’est l’histoire d’un document pré-normatif (une AFNOR Spec, dans notre jargon), qui devient finalement une norme, tant le texte est solide et les signataires représentatifs de la filière. Ces derniers mois, des acteurs tels que La Poste, la Fevad, l’Ademe, CDiscount, Colis privé, Decathlon, Veepee, le ministère de la Transition écologique ou encore Familles Rurales se sont réunis pour mettre au point un outil de mesure de l’impact carbone des livraisons de commandes effectuées sur internet. L’objectif était simple, mais très ambitieux : proposer à l’internaute, au moment où il décide de son mode de livraison, un outil de calcul lui permettant d’en connaître immédiatement les conséquences pour l’environnement.

En coulisses, il a fallu s’entendre sur un nombre important de paramètres, comme celui-ci : « Si le consommateur se fait livrer en point-relais, mais va chercher son colis à 2 kilomètres de chez lui en voiture, comment intégrer ce déplacement dans le calcul ?, détaille Xavier Ambrosini (La Poste). L’objectif est d’éclairer le consommateur en lui permettant d’accéder à des informations fiables et comparables, entre e-commerçants et entre modes de livraison. »La toute nouvelle norme XP X50-401 fait des choix, les défend et permet à tous de progresser. A noter : le texte permet aux professionnels de la vente en ligne de respecter la charte d’engagements pour la réduction de l’impact environnemental du commerce de juin 2024.

Qualité / sobriété