Garde-corps : la norme mise à jour pour mieux protéger les jeunes enfants
En 2005, le professeur Philippe Meyer, chef du service réanimation à l’hôpital Necker, tire la sonnette d’alarme. Il voit arriver dans son service, chaque semaine, un jeune enfant défenestré. La France en recense 300 au total chaque année, d’après les chiffres de l’Institut national de la consommation. Le médecin en a assez ; il interpelle les pouvoirs publics. Il faut dire qu’à l’époque, il n’existe rien dans la réglementation qui permette d’éviter les chutes depuis un bâtiment. Aucune obligation. Ni garde-corps, ni murets, ni poignées de fenêtres avec clefs : rien du tout. Qu’il s’agisse des appartements, des stades ou des écoles, aucun texte n’existe, aussi surprenant soit-il.
C’est ainsi qu’en 2009, la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP, un service du ministère de la Transition écologique) demande la réouverture de la commission de normalisation AFNOR chargée du sujet , pour réviser la norme NF P01-012 de 1988 sur les garde-corps, un texte fondamental pour prévenir le risque de chute dans le vide. Cette révision a deux objectifs : prendre en compte spécifiquement le risque de défenestration des jeunes enfants et simplifier les recommandations techniques, certains schémas étant trop soumis à l’interprétation.
Quand la norme précède la loi
Nous sommes ici en présence d’un cas d’école : une norme volontaire qui a précédé toute forme de réglementation (la première version de la norme date de 1957) et qui, depuis, perdure. En 2021, en pleine révision de la norme, apparaît une courte mention dans le code de la construction et de l’habitation : « Les bâtiments sont conçus et construits de manière à éviter les chutes accidentelles de hauteur des personnes, dans le cadre d’un usage normal. » (article L134-12). C’est le tout premier cadre législatif. La loi donne désormais une obligation de résultat… et la norme fournit les moyens. « Depuis, j’ai été approché par le ministère de l’Intérieur, explique Pierre Martin, spécialiste de l’enveloppe vitrée à la direction technique d’Apave et président de la commission de normalisation AFNOR P01A sur les garde-corps. J’espère que de futurs articles réglementaires vont arriver, inspirés par la norme, car le dispositif réglementaire reste tout de même très léger, notamment sur les bâtiments recevant du public, des travailleurs, et sur les habitations. » Vous pouvez cliquer ici pour en savoir plus sur le cadre normatif et réglementaire complet. Pierre Martin rappelle que la norme ne porte pas seulement sur les garde-corps : les murets, les allèges de fenêtres ou encore les cloisons intérieures peuvent faire office d’enceinte. « On parle d’éléments de protection, au sens large », ajoute-t-il.
200 enfants mobilisés pour des tests grandeur nature
Quand il propose à AFNOR de lancer la révision, Pierre Martin sait que de nombreuses tentatives ont déjà échoué depuis 1988, date de la dernière version, car en matière de sécurité il est extrêmement difficile de placer le curseur. Le risque zéro n’existe pas : on peut estimer qu’on en fait trop ou pas assez. Il décide alors d’une expérimentation qui n’a jamais été menée : observer les comportements des enfants. « Il m’a semblé évident qu’il fallait que tous les professionnels impliqués voient ce que de jeunes enfants faisaient de leurs équipements Nous avons donc convié 200 enfants, sous une forme ludique, à escalader le plus vite possible de nombreux modèles de garde-corps, puis à se faufiler à travers, action qu’on appelle dans le jargon un franchissement traversier », raconte-t-il.
Trois sessions d’exercice sont organisées, réunissant de jeunes enfants de la maternelle à la primaire, chronomètre en main. Les résultats sont sans appel. « En moins de cinq secondes, la totalité des enfants – y compris ceux de petite section de maternelle – passaient par-dessus les garde-corps conformes à la norme de 1988 », annonce Pierre Martin. Un grand moment de vérité. Plus besoin de convaincre qui que ce soit !
Cette expérience conduit à deux conclusions : d’abord, il est inutile de remonter la hauteur actuelle, fixée à un mètre, à 1,10 m ou même à 1,20 m car les enfants passent par-dessus aussi vite. Même à 1,50 m avec un panneau lisse, les enfants les plus décidés réussissent l’escalade. En revanche, il est très utile de réduire à 11 cm maximum le diamètre des ouvertures dans le panneau. « Le garde-corps ne peut pas tout faire, rappelle Pierre Martin. Notre travail n’est pas de transformer la maison en bunker, mais de gagner du temps, de faire en sorte qu’un enfant qui échappe à la vigilance de ses parents soit ralenti. Et il est apparu qu’une ouverture de 11 cm ne permet pas à une tête d’enfant de passer. »
Pour le reste, l’équipe de normalisateurs en appelle aux pouvoirs publics, afin qu’ils lancent une campagne de prévention et d’information aux usagers quant au comportement à adopter vis-à-vis du risque du chute dans le vide dans les bâtiments. « Les statistiques montrent clairement que les enfants défenestrés sont plus nombreux lorsque le parent est seul, ou encore chez les réfugiés qui viennent d’accéder à un logement et ne sont pas focalisés sur les risques domestiques, venant de pays où le risque prend d’autres formes : guerre, pauvreté, etc. », conclut Pierre Martin.
La norme NF P01-012 révisée a fait son entrée dans la collection AFNOR le 22 novembre 2024. Elle s’applique à la construction neuve et non à l’existant, et elle prévoit un délai de six mois avant de devenir applicable (juin 2025), le temps de se former.