Expert ou charlatan ? Une norme fait le ménage
C’est la norme des experts : les vrais, pas les experts « auto-proclamés » qui sont devenus légion ces dernières années et notamment pendant la pandémie de covid-19. La norme NF X50-110 « Qualité en expertise – Prescriptions générales de compétence pour une expertise » vient d’être révisée, un peu plus de vingt ans après sa naissance en 2003. Elle couvre toujours tous les secteurs d’activité, sans exceptions. Mais elle s’est adaptée aux évolutions de contexte sociétal, à commencer par les possibilités ouvertes par internet et le big data. « La toute première réunion de la commission de normalisation AFNOR chargée du sujet date de l’année 2000. C’était l’époque des scandales sanitaires, la vache folle notamment, raconte Patrice Huver, responsable de la division enquête analyse au cabinet d’expertise Naudet et aujourd’hui co-président de cette commission. Les agences nationales ont alors eu besoin d’un référentiel partagé et reconnu, pour décrire les principes et exigences d’une expertise de qualité, qui suscite la confiance. »
NF X50-110 : tous les secteurs d’activité sont concernés
La norme volontaire naît trois ans plus tard et connaît un succès durable, toutes disciplines confondues. « Si nous l’avons fait évoluer, c’est pour plusieurs raisons, reprend Patrice Huver. Il y bien sûr l’évolution de la société, avec une série de polémiques autour des experts sur les plateaux de télé. On les baptise experts et on voit que cela fait une chambre d’écho auprès des autres médias et de la population. Il y a aussi l’évolution de l’environnement technique et scientifique, fulgurante. Internet a amené un formidable partage des savoirs, toutes les informations, erronées ou excellentes, sont disponibles en quelques minutes. Pour quelqu’un comme moi, qui réalise des expertises industrielles à destination des assureurs, les données aujourd’hui accessibles sur internet, comme les images satellitaires, ont profondément changé la manière d’exercer. Tout cela était encore impensable en 2003. » « La norme NF X50-110 est une norme de process, ajoute Patrice Huver. Elle peut se raccrocher, en certains points, à la norme de management de la qualité ISO 9001. Celle-ci a été révisée en 2015 avec des changements importants de terminologie. Il était donc important que nous évoluions également. » Le processus de mise à jour est habituel en normalisation, il permet aux normes volontaires de coller au marché. En 2024, l’ISO 9001 est d’ailleurs à nouveau en cours de mise à jour.
Troisième motif de révision : il était important pour la commission de rappeler que la X50-110 concerne tous les domaines, pas seulement le BTP, comme certains ont pu le croire. « Nous avons clarifié la notion d’expert, d’expertise individuelle ou collective et le domaine d’application de la norme, de façon à bien signifier que la norme est généraliste », poursuit Patrice Huver. Une clarification et une adaptation, donc, plus qu’une révolution. La révision de la X50-110 est à l’image de ceux qui tiennent la plume : sérieuse, nuancée, réfléchie. « La norme a prouvé qu’elle était suffisamment robuste pour s’ancrer dans les processus d’organismes comme le Centre technique du bois et de l’ameublement ou les agences sanitaires nationales, l’Anses en particulier. Il ne s’agissait pas de tout réinventer, mais d’évoluer intelligemment », commente Patrice Huver. Au cœur du texte, le chapitre 7, qui concentre les points à respecter, de la planification à la maîtrise du produit livré.
A l’Anses justement (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), on trouve Sylvie Loisel, cheffe de projets transversaux en appui à l’expertise et co-présidente de la commission AFNOR. Elle indique que l’agence s’appuie sur la NF X50-110 au quotidien. « Nous travaillons sur l’expertise en évaluation des risques sanitaires liés à l’alimentation, l’environnement, le travail ainsi que sur la santé et le bien-être des animaux et la santé des végétaux, dans une dynamique « One Health » (« une seule santé »). La NF X 50-110 est utilisée comme une norme métier, qui permet de maîtriser les points critiques des processus d’expertise, tout en l’adaptant en réponses aux éléments de contexte, aux enjeux, aux risques et aux attentes des parties prenantes propres à l’agence », développe-t-elle.
Un cadre déontologique pour composer avec l’incertitude
« Cette norme nous permet d’éviter les pièges de l’implicite et de l’informel, poursuit Sylvie Loisel. Dans nos métiers, le besoin de faire confiance en l’expertise réalisée est primordial. Cela commence dès la formulation de la demande : avons-nous bien compris la question, est-il pertinent et possible de la reformuler ? Par ailleurs, l’Anses désigne formellement les experts de ses collectifs selon des critères établis, permettant d’assurer les compétences et de prévenir tout conflit d’intérêts. En bout de chaîne, nous devons aussi nous assurer de livrer une expertise précise et compréhensible par les gestionnaires de risques, et le cas échéant par d’autres parties prenantes. »
La norme permet aussi aux organismes d’expertise – et Sylvie Loisel insiste sur ce point – de mieux travailler en interne, comme avec ses partenaires. « C’est un outil précieux pour l’organisation qui s’en empare, dans la mesure où l’expert pose les règles du jeu qu’il s’engage à respecter et les rend publiques, explicite-t-elle. La NF X50-110 est un point d’ancrage, qui aide les experts à composer avec l’incertitude, une donnée essentielle de nos métiers. Qui dit expertise, dit situation généralement complexe, avec de l’incertitude pour laquelle il convient de compléter l’analyse des données par du jugement professionnel. Il est alors indispensable de maîtriser les risques liés à l’émission d’un jugement, afin que cela se fasse selon un cadre déontologique. » Pour Sylvie Loisel comme pour d’autres, la révision de la norme est donc très précieuse. Envie d’en savoir plus ? Participez à une conférence des adhérents d’AFNOR sur le sujet le 28 mai 2024. Inscriptions pour une participation à distance ici.