Filière agroalimentaire: trois exemples réussis de labellisation RSE
On connaissait la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) appliquée à l’échelle d’une fédération professionnelle, comme les vignerons, les agences de communication ou les carriers qui ont conçu leur label sectoriel avec AFNOR Certification dans le cadre de la Plateforme RSE. Mais on connaît moins la RSE appliquée à l’échelle d’une interprofession. Interbev, interprofession du bétail et de la viande, pratique cet exercice depuis plusieurs années. En 2017, l’exercice a débouché sur un manifeste, le « pacte pour un engagement sociétal », et en 2018, sur une labellisation « Engagé RSE » en bonne et due forme. Le cas d’Interbev illustre une tendance forte : toute la filière agroalimentaire a embrassé la thématique RSE et interroge ses pratiques, dans le souci de s’améliorer en continu et d’inspirer confiance. Le label Engagé RSE est fait pour cela. Deux fleurons du secteur agro, Olga et Lactalis, l’ont aussi adopté. Une estampille loin d’être réservée aux gros acteurs, à l’image de la Coopérative Océane et ses 71 maraîchers au sud de Nantes, labellisée en 2016.
Engagé RSE : la responsabilité sociétale de la pâture à l’assiette
En se lançant dans une démarche de RSE assise sur l’ISO 26000, le référentiel sur lequel est conçu le label Engagé RSE, Bruno Dufayet, éleveur bovin dans le Cantal et président de la commission enjeux sociétaux d’Interbev, avait un objectif clair : « Que demain, le consommateur citoyen puisse choisir nos produits avec l’assurance que les critères de RSE sont respectés à chaque maillon de la filière », résume-t-il. Avantage du label Engagé RSE, par opposition aux signes de confiance autoproclamés : « il atteste d’un vrai engagement », arguments à l’appui, vérifiés par un tiers extérieur, bien utile en cas de controverses. Et elles ne manquent pas ! Vidéos sur la maltraitance des animaux, empreinte carbone de l’élevage, essor de la nourriture vegan… La démarche d’Interbev, déployée de la pâture à l’assiette, est antérieure à ces offensives médiatiques, mais de facto, elle leur coupe l’herbe sous le pied. « Notre engagement fait suite à un dialogue constructif avec nos parties prenantes externes. Le processus de labellisation est aux antipodes d’un coup marketing », martèle Bruno Dufayet. Olivier Graffin, l’évaluateur d’AFNOR Certification missionné chez Interbev, le confirme : « L’une des vertus de la labellisation est de révéler -au sens photographique – l’image exhaustive des impacts, d’identifier l’état de l’art en termes de pratiques à mettre en valeur et partager. Et aussi, de crédibiliser une feuille de route de façon à répondre aux défis. »
« Nous sommes dans une logique de filière sur chacun de nos terroirs, et la RSE fait naturellement partie de nos valeurs, du fait de notre ancienneté et des exigences qualité des cahiers des charges AOP (appellation d’origine protégée). L’enjeu était de structurer cette politique, poursuit Anne-Claire Pouzelet, responsable RSE et communication de la division AOP & Terroirs du groupe Lactalis. La démarche de RSE s’est co-construite avec l’accompagnement d’un cabinet extérieur, et en collaboration avec nos parties prenantes internes et externes. Notre politique part du terrain et nous est spécifique. Un premier état des lieux de nos pratiques a été réalisé en 2020, suivi par la définition et priorisation de nos ambitions, en trois piliers. »
Interbev : moins 15 % d’émissions de gaz à effet de serre en dix ans
Chez Lactalis AOP & Terroirs, le premier pilier tourne autour des sujets de qualité de vie au travail des collaborateurs, des communautés locales ; le deuxième, autour de la promotion des savoir-faire traditionnel, de la qualité des recettes, la recyclabilité des emballages, la sensibilisation des consommateurs à la place des produits laitiers dans leur alimentation. Et enfin le troisième, autour des questions environnementales, de la biodiversité, de l’économie circulaire. Chez Interbev, quatre catégories d’enjeux ont émergé : environnement (dont les émissions de gaz à effet de serre de l’élevage bovin, qu’elle veut réduire de 15 % en dix ans), bien-être animal (indicateurs scientifiquement validés, guides de bonnes pratiques à chaque étape), nutrition (portions raisonnables, qualité plutôt que quantité) et social (rémunération équitable, qualité de vie au travail).
Chez Olga, entreprise d’Ille-et-Vilaine elle aussi labellisée Engagé RSE (marques telles que Sojasun, Vrai, Petit Billy, Terres et Céréales), Olivier Clanchin, le P-DG, englobe toutes ses actions sous le vocable « d’économie régénératrice ». « Cela implique de travailler en partenariat avec les agriculteurs qui feront peut-être les premières transformations chez eux, accepter de produire suivant les saisons, demander aux circuits de distribution de jouer le jeu, produire moins si on veut faire du bio régénératif », énumère-t-il. Citant cette étude prospectiviste AFTERRE 2050 : « Si l’on permet au consommateur de se reconnecter à cette logique d’une agriculture qu’on laisse respirer, au sein de son écosystème, il va naturellement végétaliser son alimentation. En conséquence, moins de surfaces seront allouées à l’alimentation du bétail. On consommera alors moins d’hectares par habitant que si l’on était resté sur le modèle de l’agriculture intensive et des régimes alimentaires majoritairement carnés. »
Engagé RSE : l’importance d’être questionné de l’extérieur
Naturellement, Olga a ressenti le besoin de faire attester cette démarche par un tiers et un label. « D’autres optent pour l’auto-déclaration et obtiennent une photo à l’instant T, tandis que nous sommes plus dans l’évaluation et l’amélioration continues. Nous réaxons notre projet d’entreprise à chaque nouvelle évaluation, nous le confrontons à l’évaluateur tiers de confiance, aux collaborateurs, à nos parties prenantes internes et externes. Nous consolidons ainsi notre stratégie RSE et sa transversalité », justifie Héloïse Le Bars, responsable RSE d’Olga. Pour Bruno Dufayet, chez Interbev, l’exercice a également le mérite de faire sauter un verrou : « la tentation de l’entre-soi ». « Raisonner en termes de parties prenantes, c’est ne plus avoir peur d’écouter, de dialoguer avec des interlocuteurs externes, comme nous avons commencé à le faire avec des ONG environnementales dès 2013 », indique-t-il. C’est aussi s’appuyer sur les travaux de recherche scientifique, par exemple pour lutter contre l’antibiorésistance. Le tout, en faisant vivre l’esprit de l’amélioration continue qui colle à la démarche. Labellisée comme Olga au niveau « confirmé » du classement d’Engagé RSE (c’est-à-dire 3 sur 4), Interbev peut ainsi raisonnablement viser le niveau « exemplaire » pour sa prochaine évaluation.
Mais ne soyons pas naïfs : l’exercice de l’évaluation RSE fait naître des difficultés. « Des difficultés humaines et financières, confirme Anne Claire Pouzelet, pour Lactalis AOP & Terroirs. Certains de nos salariés travaillent chez nous depuis trente ans ; changer leurs habitudes n’est pas chose aisée. Cela demande beaucoup de sensibilisation. Sur le plan financier, les exigences environnementales impliquent souvent des coûts plus élevés. C’est le cas des emballages écologiques ou des énergies vertes. Le retour sur investissement est difficile à percevoir car nous ne pouvons pas en reporter le coût sur nos consommateurs et le moins possible sur nos producteurs. Cela demande beaucoup d’inventivité et un pilotage assidu, à l’aide d’indicateurs et de tableaux de bord. » Oui, il y a nécessairement des points d’effort aux côtés des points forts. Mais là est le bénéfice d’un audit d’évaluation. « L’évaluation Engagé RSE permet d’une part de voir ce qu’on ne voyait plus et d’autre part de voir différemment », conclut Olivier Clanchin.