Fonction achats : comment maîtriser les risques fournisseurs ?
Début février 2017, le Sénat doit examiner en deuxième lecture la proposition de loi sur le devoir de vigilance. « Ce sera une avancée significative et ambitieuse pour la France sur le chemin d’un renforcement de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et plus largement du respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales », s’est félicité le ministre de l’Économie, Michel Sapin. Ce texte répond en effet à un besoin de prendre en compte les risques fournisseurs, notamment en matière de RSE. Car en la matière, le passif est lourd, en particulier dans le domaine agroalimentaire
Dans sa version actuelle, la proposition de loi prévoit d’imposer aux grandes entreprises françaises (plus de 5 000 salariés dans l’Hexagone et 10 000 en dehors) de déployer un plan de vigilance. Le but ? Prévenir et réduire dans leur chaîne d’approvisionnement les risques et les atteintes aux droits de l’Homme, puisque la responsabilité civile des sociétés concernées sera engagée par un dommage qu’elles auraient raisonnablement pu éviter. À la clé, des sanctions financières pouvant atteindre 10 000 euros.
Ce plan de vigilance comprendra :
- une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
- des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie au regard de la cartographie des risques ;
- des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
- un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques.
Cette actualité législative souligne l’importance, pour toute entreprise, de prendre en compte sérieusement les risques fournisseurs dans sa politique achats. Du retard de production aux accidents du travail, en passant par le boycottage, voire la faillite, les conséquences peuvent en effet être gravissimes. Or les entreprises n’en sont pas toutes conscientes. Une étude menée par le groupe AFNOR avec l’assureur Generali en 2015 a montré > voir extrait vidéo que les PME ne sont pas toutes bien armées pour résister aux chocs : 23 % d’entre elles ont mis en place des mesures de prévention et de vigilance, sans connaître de défaillance, 64 % l’ont fait, soit empiriquement parce qu’elles ont connu un accident, soit de manière inadaptée, et 13 % n’ont pris aucune mesure.
Une définition complexe
Mais qu’entend-on exactement par « risques fournisseurs » ? Selon Bruno Frel, responsable de la thématique Achats au sein du groupe AFNOR, « ils sont multiples et englobent les conséquences comme les causes. Quand on cartographie les risques, la démarche la plus simple consiste à partir de la conséquence et à remonter aux sources pour les identifier, puis les contrôler. On s’aperçoit alors que ces risques relèvent souvent de la RSE, notion qui couvre un très large spectre : éthique, droits de l’Homme, travail des enfants, environnement, relation avec les consommateurs, etc. ».
Certains acheteurs ont du mal à intégrer autant de sujets dans cette définition ; ils en excluent par exemple l’éthique ou invoquent le frein du coût des achats dits « responsables » pour ne pas s’en préoccuper. Or il ne faut pas cloisonner les choses, mais traiter la question globalement. Bruno Frel prend l’exemple d’un siège de bureau : « Quand on choisit un modèle de meilleure qualité ergonomique, on sait que cela va coûter plus cher à l’entreprise, mais aussi lui permettre de réduire d’autres coûts : moins de troubles musculo-squelettiques, donc moins d’absentéisme, meilleure productivité, meilleure satisfaction. Un acheteur capable de bien monétariser ces risques-là peut convaincre facilement ses prescripteurs internes, sa maîtrise d’ouvrage ou sa direction. » Bien sûr, la difficulté varie d’un secteur à l’autre, a fortiori quand la chaîne d’approvisionnement est longue et inclut des fournisseurs originaires de pays à bas coûts. Selon une étude récente d’IBM, 400 directeurs achats en Europe reconnaissaient ne pas maîtriser totalement leur chaîne d’approvisionnement. D’où l’importance de cartographier les risques !
Un accompagnement pas-à-pas
Un service que le groupe AFNOR rend aux entreprises de tous les secteurs grâce à son expertise des normes volontaires, son cœur de métier, normes faites par et pour ces entreprises, et qui servent de bases à des prestations de conseil, d’évaluation et de certification. « Nous pouvons ainsi accompagner une organisation du début jusqu’à la fin du processus », résume Bruno Frel. C’est chez AFNOR Editions que se trouve la première brique : > l’offre OK Pilot.
Ce service permet à une entreprise, via un questionnaire, de déterminer son positionnement et surtout d’identifier des axes de progrès, en l’occurrence en matière d’achats responsables. Plus en profondeur, on pénètre chez AFNOR Compétences, la filiale formation continue du groupe, avec de multiples stages, certifiants ou non. Mi-novembre, l’association Achats & Suppy Chain de HEC Paris a interrogé des acheteurs sur les achats responsables, et la moitié a indiqué de pas être formés. En la matière, AFNOR Compétences s’adresse aussi bien à un public d’acheteurs qu’à un public d’auditeurs des fonctions achats. Et c’est là la dernière marche : l’audit du service achats, un exercice qui permet d’identifier les dysfonctionnements et d’installer une démarche d’amélioration continue, rythmée par des audits réguliers. Au-delà de l’affichage d’un certificat en bonne et due forme, l’objectif est de progresser et faire progresser.
C’est ici AFNOR Certification qui entre en jeu. « Nous proposons des audits afin d’évaluer les fournisseurs sur site pour vérifier leurs critères sociaux via des référentiels internationaux reconnus tels que SMETA ou SA8000 », décrit Charles Baratin, chef de produit chez AFNOR Certification. Ceux qui veulent se positionner comme acheteurs responsables choisiront le label Relations Fournisseur Responsables (RFR), un label d’État dont AFNOR Certification est distributeur, et qui est arboré aujourd’hui par 37 entreprises françaises. Dont dernièrement Gutenberg Networks, une entreprise de communication graphique et numérique qui a ressenti le besoin d’afficher son engagement.
Achats responsables et anti-corruption
Ce label va bientôt évoluer pour être en cohérence avec la future norme volontaire internationale ISO 20400 sur les achats responsables, annoncée pour mars 2017 > lire ici. Comme le précise Isabelle Lambert, cheffe de projet chez AFNOR Normalisation, « cette norme va inciter le directeur général, le directeur achats et les acheteurs à se poser des questions sur les risques, considérés à la fois comme des opportunités et des menaces. Fédératrice, elle est très attendue, comme en témoignent le nombre inhabituel de pays et d’institutions internationales au comité technique – une quarantaine – et la participation, à chaque étape du processus, de l’ONU, de la Commission européenne et de l’OCDE. » Pour autant, les entreprises restent en première ligne sur cette thématique dont elles ne peuvent sortir que gagnantes, à en croire une étude de l’Ademe menée auprès de 19 services achats d’entreprises françaises volontaires dans tous les secteurs d’activité, et présentée au dernier salon Pollutec fin novembre 2016 : en moyenne, elles estiment que leur retour sur investissement en matière d’achats responsables est intervenu sous deux ans. L’étude montre également qu’une politique d’achats responsables permet aux entreprises de gagner des parts de marché et de réduire leurs impacts environnementaux, chez Lesieur grâce à une innovation de packaging, par exemple.
Citons une autre norme de référence servant de socle à une bonne politique d’achats responsables, et plus généralement de prévention des risques fournisseurs : la nouvelle norme internationale ISO 37001, donnant les lignes directrices d’un bon système de management anti-corruption. « Elle offre un mode d’emploi pour garantir que l’entreprise, son personnel, ses sous-traitants mettent tous les moyens en œuvre pour se prémunir contre toutes les formes de corruption, explique Sandra Parot, cheffe de projet chez AFNOR Normalisation, qui a contribué à la genèse du texte au sein de l’ISO à Genève. En reprenant la structure des grandes normes de management comme l’ISO 9001 sur la qualité et l’ISO 14001 sur l’environnement, elle systématise des exercices comme l’identification des risques ou la sensibilisation des collaborateurs. Et permet d’harmoniser les pratiques entre filiales d’un même groupe. » En matière d’anti-corruption, c’est utile pour qui possède des implantations dans des pays à risques, où les dessous de table sont monnaie courante…
Un sujet planétaire
Tout récemment parue, l’ISO 37001, qui est > certifiable comme l’ISO 9001 et l’ISO 14001, connaît une deuxième actualité en France avec la toute nouvelle loi dite « Sapin 2 » sur la transparence et la lutte contre la corruption, autre risque contre lequel les entreprises doivent se prémunir, en leur sein ou en tant que donneuses d’ordres à des fournisseurs indélicats. Un risque qu’elles méconnaissent largement, comme le montre une étude dévoilée à l’occasion de la Journée mondiale contre la corruption, le 9 décembre : plus de la moitié des entreprises interrogées ne se considèrent pas correctement armées pour prévenir et lutter contre les risques de corruption.
ISO 20400, ISO 37001… Pour coller à la dimension internationale du sujet risques, la palette d’outils proposée par les différentes entités du groupe AFNOR va évoluer en 2017, le groupe étant présent dans quarante pays et cultivant des relations commerciales avec une centaine. « Nos filiales à l’international vont bientôt proposer une offre d’audit fournisseurs pilotée par notre antenne à Shanghai, qui devrait s’étendre petit-à-petit au reste du monde », annonce Bruno Frel. En préalable, une étude sur les types de risques perçus et gérés dans différents pays est en cours (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Russie, Maroc, Tunisie). À suivre en 2017 !
3 questions à Bruno Frel, responsable de la thématique Achats, groupe AFNOR
Comment les entreprises peuvent-elles prévenir les risques fournisseurs ?
On compte au moins trois grandes catégories d’actions. Première catégorie, les dispositifs mis en place en interne : formation et sensibilisation des collaborateurs, rédaction d’un code de déontologie avec un affichage clair des sanctions encourues en cas de non-respect des engagements, mise en place d’un dispositif d’alerte dans l’entreprise ou d’un service d’audit externe, etc. Deuxième catégorie : le travail mené lors des consultations sur le choix du fournisseur et les questions à poser sur le couple produit-fournisseur dans le cahier des charges. Ce document contractuel peut être renforcé par des conditions générales d’achat ou particulières. Troisième catégorie, la relation avec les fournisseurs : comment les évaluer régulièrement, établir un plan de progrès, vérifier si ce qu’ils ont dit est bien appliqué ? Sans oublier de vérifier en interne que les engagements pris vis-à-vis d’eux sont respectés.
PME/TPE et grandes entreprises sont-elles confrontées aux mêmes risques ?
Petites et grosses structures sont confrontées au risque de la même façon, mais les conséquences diffèrent. Les premières ont moins de moyens mais certains risques sont mieux maîtrisés. Souvent, elles n’ont pas de véritable fonction achats et c’est le patron qui prend les décisions importantes en la matière. La chaîne de décision est donc plus simple. De plus, les petites entreprises engagées dans la démarche d’achats responsables le sont plus que toutes les autres, car elles sont portées par les convictions très fortes de leurs dirigeants, qui s’en servent notamment pour se différencier de la concurrence. Cependant, les TPE et les petites PME ont, en général, moins de capacités à absorber le risque et peuvent parfois couler en cas de problème. Alors que les grosses entreprises, comme Shell, H&M ou Nike, maintes fois épinglées, rebondissent, car elles sont très solides.
À quelles évolutions peut-on s’attendre ?
À ce que la réglementation, européenne notamment, s’empare du sujet. En parallèle, les démarches volontaires elles-mêmes se consolident. Ainsi, le label RFR, qui a démarré par une charte de dix engagements à signer, et compte aujourd’hui plus de 1 600 signataires et une quarantaine d’entreprises labellisées ! Je crois beaucoup en la future norme internationale sur les achats responsables, qui devrait permettre de changer nombre de pratiques.
Regarder le replay de notre web-conférence sur les achats responsables du 12 avril 2016…