Norme ISO sur l’égalité femmes-hommes : retour sur le temps fort AFNOR
Égalité des chances, lutte contre les discriminations, accès à l’éducation, place des femmes dans les organisations… Et si une norme ISO, de portée internationale et d’application volontaire, couchait sur papier les bonnes pratiques, comme c’est le cas pour plein d’autres sujets du quotidien ? Après la publication d’un premier document franco-français, le projet est maintenant en gestation au sein de l’Organisation internationale de normalisation, sous animation tricolore. « La France est à l’origine de cette initiative lancée en 2021, a rappelé Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR, en préambule d’une visioconférence suivie par plus de 300 personnes issues de 42 pays le 25 février 2022. Normaliser permet d’établir un langage commun pour mieux se comprendre, mieux dialoguer et accompagner la mise en place de bonnes pratiques et d’outils opérationnels dans toutes les organisations, quels que soient leur nature, leur secteur d’activité et leur nationalité. »
Initiés en 2022, les travaux doivent aboutir en 2023, en s’appuyant sur les expériences de chacun et dans le respect du consensus. « La stricte égalité femmes-hommes n’existe aujourd’hui dans aucun pays du monde, a souligné en ouverture des échanges Élisabeth Moreno, ministre française déléguée à l’égalité femmes-hommes, à la diversité et à l’égalité des chances. Ce sujet fait partie des grandes causes du quinquennat et s’impose comme une priorité de la présidence française de l’Union européenne.
Nous sommes attentifs à la production d’un document final souple et appropriable par tous, avec la conviction qu’il contribuera à développer une économie plus durable et une société plus juste. »
Le commerce non plus n’est pas neutre en genre. La Suède défend pour cela la conception de politiques commerciales qui favorisent les femmes. « Il s’agit par exemple d’élaborer des processus d’achats qui prennent en compte la question du genre », illustre Amélie Kvarnström, conseillère en politique commerciale chez National Board of Trade Sweden. De son côté, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) mise sur la déconstruction des stéréotypes. Nous développons du matériel pédagogique pour faire évoluer ces préjugés avec la volonté d’œuvrer pour l’autonomie économique des femmes, vecteur d’égalité. » rappelle Madeleine Oka-Balima, cheffe de l’unité Egalité femmes-hommes de l’OIF.
L’AFNOR SPEC française, base de réflexion mondiale
La crise sanitaire a d’ailleurs renforcé la nécessité de cette dimension internationale. « La situation des femmes et des filles se dégrade, leur vulnérabilité augmente, constate Marie Soulié, responsable du pôle « genre, éducation, population, jeunesse » au ministère français de l’Europe et des affaires étrangères. Un travail de normalisation mené avec tous les organismes concernés en fera un processus représentatif et participatif qui renforcera l’arsenal de mesures en faveur de l’égalité. » Dans cet objectif, les travaux pourront s’appuyer sur l’AFNOR Spec française élaborée en 2021.
Rédigé en moins de six mois avec de nombreuses parties prenantes (ministères, collectivités, entreprises, universités, associations, etc.), ce document s’impose comme une base de travail pour la normalisation. « 60 experts de 30 organisations ont pris part aux discussions sur les différents thèmes, explique Sophie Schwamberger, cheffe de projet chez AFNOR. Construite autour de bonnes pratiques, elle constitue un guide d’éléments concrets applicables dans toutes les organisations. »
À l’heure actuelle, selon l’ISO, 187 normes volontaires contribuent directement ou indirectement à l’ODD 5 des Nations-Unies. Et ce n’est qu’un début. Car le travail se mène aussi de l’intérieur, explique Javier Garcia Diaz, directeur général de l’association espagnole de normalisation et « Gender champion » de l’ISO. « Depuis 2019, nous intégrons directement la question du genre dans le travail de nos comités techniques. Il s’agit notamment de recueillir des données sur la représentation des femmes dans nos comités, de partager de bonnes pratiques auprès de nos 180 membres et de sensibiliser sans cesse à la question. »Un enjeu pleinement soutenu au Canada, où la féminisation des normes s’impose comme un sujet majeur. « Les études prouvent que dans les normes sur les équipements de protections individuels, la taille unique n’assure pas une protection suffisante. En effet, les spécifications correspondent à des morphologies d’hommes, pas de femmes !, détaille Chantal Guay, directrice générale du Conseil Canadien des Normes (CCN) Cela tient notamment à la représentation : nous comptons au Canada seulement 24 % de femmes dans nos commissions. Elles doivent participer plus fortement à l’élaboration des normes. »
A la manœuvre, le comité ISO/PC 337
« Démarche, outil, méthode : l’AFNOR Spec est très opérationnelle, se réjouit Mireille Péquignot, présidente de l’association Halte Discriminations. En plus de l’argument sociétal, l’argument économique constitue un levier important qui prouve l’intérêt à s’engager dans cette voie.
Même si les femmes sont de plus en plus présentes dans les universités, elles sont absentes de certains domaines, avec un coût pour la société évalué à plusieurs milliards chaque année. À l’inverse, 80 % des entreprises qui ont mené des actions pour l’égalité en ont tiré des avantages commerciaux. »
Étape suivante : se structurer à l’international. Tout comme l’AFNOR Spec française a inspiré la création d’une commission française, le projet de norme internationale est porté par un comité ad hoc à l’ISO. « Notre réflexion s’inscrit dans la lignée d’initiatives historiques, telles que la 4e conférence mondiale de l’ONU et l’Agenda 2030 des Nations-Unies, connu pour sa liste des 17 objectifs de développement durable (ODD), explique Denis Roth-Fichet, président de ce comité libellé ISO/PC 337. Notre focus porte sur le 5e ODD : parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles. Nous prenons aussi en compte les lois nationales votées dans de nombreux pays. »
Faire bouger les lignes
Pour tous les participants, une norme volontaire internationale génèrerait des effets positifs et concrets immédiats. « Pour un groupe multinational comme le nôtre, disposer d’un texte applicable dans tous les pays, quel que soit le niveau de maturité, présente un intérêt majeur, estime Tanguy de Belair, directeur de l’inclusion et de la diversité de Vinci. Un tel document fixera un cadre lisible, appropriable, à décliner partout dans le monde. Chaque initiative locale prendra du sens par rapport aux attentes globales. »
Un pas en avant, à l’heure où dans 104 pays, la loi restreint encore l’accès des femmes au travail ? Assurément, pour Fanny Benedetti, directrice exécutive d’ONU Femmes France. « Surreprésentation des femmes dans l’économie informelle, écarts de salaire, poids du travail non rémunéré… La tâche est immense mais la norme peut renforcer la place des femmes dans l’économie », dit-elle. Comment ? « Par exemple en accélérant les progrès via un programme de transformation en profondeur de l’entreprise. Le texte aidera à définir les axes de travail les plus importants vis-à-vis de la situation de chacune, comme la gouvernance, la non-discrimination, la thématique santé-sécurité-bien-être au travail… Du concret pour avancer ! »
Une certitude pour Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR : le travail collectif mené va irriguer la société grâce à un effet d’entraînement. « Bien cerner les problèmes, c’est commencer à identifier des solutions. C’est justement le rôle de la norme volontaire, qui pose des définitions précises, sans interprétation ni connotation, pour une appropriation partout dans le monde de bonnes pratiques universelles. Ou comment rendre la vie plus facile et meilleure ! »