PFAS : des normes pour rendre visible l’invisible

En l’espace de quelques mois, tout le monde a appris à dire « PFAS » (prononcez « pifasses »). Brocardés dans la presse, ces polluants éternels sont partout. Sur fond de tensions politico-économiques, la France a entrepris de dresser l’état des lieux. Pour cela, il faut des méthodes de mesure. Une première norme volontaire est parue, proposant une méthode pour l’eau potable. D’autres devraient suivre rapidement.

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Ils avaient leurs lanceurs d’alerte, regroupés au sein du collectif The Forever Pollution Project (représenté notamment par Le Monde en France) ; les PFAS ont désormais leur loi. Jeudi 20 février 2025, la proposition de loi « anti-PFAS » portée depuis un an par le député Nicolas Thierry (EELV, Gironde) a été adoptée à l’Assemblée nationale, bien que privée d’un certain nombre de ses dispositions précédentes.

Le texte ne fait plus mention des PFAS présents sur les articles culinaires en contact avec les aliments, par exemple le PTFE des poêles antiadhésives, certains industriels étant montés au créneau. Il prévoit en revanche d’interdire certains de ces polluants éternels dès 2026 dans plusieurs secteurs : les cosmétiques, les farts à skis et les textiles d’habillement, à l’exclusion des textiles techniques à usage industriel. Le Sénat avait déjà donné son feu vert en mai 2024. Dans un autre registre, le texte prévoit d’intégrer la surveillance des PFAS dans les procédures de contrôle de l’eau potable et de mettre en place une redevance visant les industriels sur le principe pollueur-payeur.

Les PFAS, oui, mais quels PFAS ? Avec près de 15 000 molécules identifiées, 17 000 sites lourdement pollués en Europe, entre 52 et 84 milliards d’euros par an de frais de santé en Europe du fait des cancers et suspicions de perturbations endocriniennes (chiffres rapportés par The Forever Pollution Project), le dossier est tellement épais qu’on peut se demander pourquoi on n’en a pas entendu parler avant. Surtout, il donne le tournis, car les substances per- et polyfluoroalkylées se comptent en milliers : leur liste s’étire à l’infini au gré d’infimes variantes moléculaires.

Les substances per et polyfluoroalkylées, un puits sans fond

Un petit rappel technique, pour commencer. C’est quoi, les PFAS ? « Ce sont des molécules que l’Homme s’est mis à fabriquer après la seconde guerre mondiale, résume Florian Lahrouch, chef de projet en normalisation chez AFNOR (département des transitions durables et sociétales). Elles sont très intéressantes pour l’industrie en raison de leurs propriétés mécaniques, de leur résistance à la chaleur et de leur déperlance. Elles nous ont été très utiles, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elles génèrent une pollution, avec le tout premier scandale autour d’une usine américaine DuPont, en 2005. »

Il s’agissait à l’époque du PFOA (acide perfluorooctanoïque), utilisé à l’époque dans le Téflon, célèbre revêtement antiadhésif. De notre côté de l’Atlantique, l’Autorité européenne de sécurité des aliments n’a été saisie qu’en 2015 par la Commission européenne et a commencé à fixer des maxima d’exposition pour les principaux PFAS, comme le PFOA depuis juillet 2020 et le PFHxS (acide perfluorohexane sulfonique) depuis juin 2022. Mais problème : les PFAS changent de forme assez facilement : « La réglementation aborde le sujet molécule par molécule, et non par famille. Il est donc facile de contourner les interdictions en ajoutant simplement des molécules dans une chaîne », explique Maud Liron, responsable développement Grand Cycle de l’eau et Biodiversité chez AFNOR.

En l’espace de soixante ans, le problème explose. Les PFAS se multiplient et, exceptionnellement résistantes, elles ont le défaut de leurs qualités : on n’arrive pas à s’en débarrasser. La pollution aux PFAS se répand dans l’eau, dans l’air et dans les sols, partout sur la planète : chaque publication du Forever Pollution Project apporte son lot de surprises ; on en détecte même dans l’Antarctique ! Dans chaque produit que nous touchons ou portons (ou presque), se trouvent des PFAS. « C’est tentaculaire. Mais pour affirmer cela, il faut des méthodes de détection fiables et consensuelles, propres à chaque prélèvement dans l’environnement », reprend Maud Liron.

NF EN 17892, pour mesurer les PFAS dans l’eau potable

C’est ainsi qu’AFNOR apporte sa pierre à l’édifice : pour s’alarmer, il faut mesurer, et pour mesurer, il faut des protocoles standardisés. En juin 2024 sort la première norme volontaire de détection et de mesure des PFAS dans l’eau potable, NF EN 17892, reprise partout en Europe et utilisant la méthode par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS). Une aubaine, à l’heure où l’article premier de la toute nouvelle loi demande d’inclure les PFAS dans les procédures de contrôle de l’eau potable (liste précise à déterminer par décret) et d’établir un plan d’action interministériel pour financer la dépollution des eaux potables ! Les experts réunis dans les commissions de normalisation AFNOR travaillent aujourd’hui sur tous les fronts, des boues d’épuration aux PFAS gazeux dans l’air ambiant, en passant par les PFAS dans le cuir et les chaussures.

Si l’arsenal réglementaire à venir reste très peu lisible, étant l’objet de fortes pressions, une chose est sûre : la France, à qui le Danemark a emboîté le pas, a pris un coup d’avance. « Au titre du plan interministériel de 2023, AFNOR accompagne l’État dans son inventaire des impacts, reprend Florian Lahrouch. Nous travaillons aussi sur la dépendance de notre industrie aux PFAS et sur les alternatives présentes et futures. Ce n’est pas la normalisation qui proposera les innovations de demain, mais elle pourra apporter toute la confiance nécessaire à leur mise en œuvre. » Par exemple, au sujet des vêtements anti-feu, des articles qui sont enduits d’un produit contenant des PFAS, et qui ne sauraient perdre en efficacité s’il fallait trouver une alternative. Pour l’instant donc, on est davantage dans la mesure que dans la confrontation, mais le tour de table risque fort de devenir houleux. C’est tout le rôle d’AFNOR que de rassembler les représentants d’intérêt opposés. De préserver la compétitivité et l’innovation tout en protégeant

Parmi les industriels engagés en normalisation, on trouve par exemple la SNCF. Mégane Dellal, conseillère normalisation à la direction Interopérabilité, Normalisation & Recherche Europe,  confirme que son groupe a besoin de disposer de méthodes de détermination, « pour savoir où on en est exactement et dans quelle mesure on est concerné ». « Chercher une alternative aux PFAS peut s’avérer très compliqué, ne serait-ce que pour trouver des fournisseurs ou des composants aux performances équivalentes », ajoute-t-elle. On n’en est encore qu’aux balbutiements : « Nous devons nous assurer d’une transition qui soit réalisable », martèle Mégane Dellal.

Un langage commun pour détecter, prélever, analyser et comparer

« On apprend en marchant ; tous les PFAS ne sont pas encore analysés, confirme Xavier Chaucherie, directeur Innovation et Procédés chez Sarpi. S’il doit y avoir des seuils réglementaires, encore faut-il que nous ayons tous les mêmes référentiels en termes de prélèvement et d’analyse à l’échelle européenne. » Entité du groupe Veolia qui incinère des déchets dangereux en France et en Europe (4 000 personnes et 110 sites), Sarpi a commencé à y travailler en 2021, sur la base de questionnements d’experts remontés de Belgique. « À l’époque, c’était le désert analytique et depuis, beaucoup de chemin a été parcouru., poursuit Xavier Chaucherie. C’est ainsi qu’en 2024, Sarpi a intégré la commission de normalisation AFNOR travaillant sur les émissions de sources fixes dans l’air ambiant et la mesure de leur concentration par spectroscopie infrarouge.

Cette commission a notamment produit la norme XP X43-125. « Il est très important pour nous de prouver par la mesure la performance de nos traitements, entre ce qui entre et ce qui sort de nos sites. Et nous veillons à limiter les flux entrants en PFAS pour être certains de pouvoir y arriver : on ne vend pas du rêve, nos métiers sont des métiers de rigueur », soutient Xavier Chaucherie. Au passage, Sarpi a breveté une solution d’incinération : qui a dit que la normalisation freinait l’innovation ?

Même discours chez Anne-Françoise Stoffel, qui représente à l’AFNOR les laboratoires Eurofins (site de Saverne). Engagée dans les commissions de normalisation sur les méthodes d’essais pour la caractérisation environnementale des matrices solides et sur les micropolluants organiques de l’eau, elle souligne la volonté d’Eurofins « d’accompagner l’innovation et de partager la connaissance, dans le but de garantir la fiabilité d’un résultat d’analyse spécifiquement pour cette famille de polluants complexes et ubiquistes que sont les PFAS ». Une norme a vocation à être un document de référence et représente le consensus technique parmi les acteurs de laboratoires d’analyses différents », conclue-t-elle.